Kenneth & Alistair ❝ You're invisible, you don't exist ❞

La journée avait été des plus difficiles, même pour lui qui avait pourtant tellement vécu, lors de ses entrainements pour l’Ordre du Phénix. Lucian, avec qui il s’entrainait, n’y avait pas été de main morte, allant jusqu’à l’empoisonner, le forçant ainsi à se battre – à le battre – dans ce piteux état. S’il comprenait parfaitement – ou croyait comprendre, surtout, puisque Powell n’avait fait que lui tendre ce verre sans lui dire davantage – après tout, il devait être à la hauteur de sa mission et le protéger, qu’importe son état, qu’importe qu’il soit malade au point de vouloir en vomir ses tripes, il n’empêchait que cela avait été particulièrement rude pour lui. Bien entendu, Powell l’avait battu à plat de couture – il n’était pas n’importe qui, après tout – et le garde du corps, en plus de la honte de ne pas avoir été à la hauteur, mettait bien du temps à reprendre ses esprits. Il arriva donc, tant bien que mal – et mal, surtout, très mal même – à la demeure Powell, toussant fortement une fois qu’il eut franchis la porte d’entrée. Des vertiges le prenaient encore, amplifiant ses nausées déjà présentes, et le fait qu’il n’ait pas eu une bonne nuit de sommeil depuis un moment n’aidait pas. Il était tout bonnement épuisé. Alors, ignorant l’impression de ses jambes lui pesant plusieurs tonnes, il regagna sa chambre, se soutenant contre les murs pour ne pas tomber. Il ne mit jamais autant de temps à faire ce chemin, et encore moins à se déshabiller.

Alors qu’il s’allongeait, ou se laissait mollement tomber sur le lit plutôt, pour être parfaitement honnête, et que ses paupières se fermaient enfin, quelques coups à sa porte se firent entendre. Il dût se faire réellement force pour retenir un gémissement plaintif, avant de finalement se lever, comme ses membres douloureux rejoignaient la porte. L’ouvrant à la volée, ses pupilles se posèrent brièvement sur l’esclave, avant de se détourner tout aussi vite qu’elles ne s’y étaient posées. Il n’existait pas. Des jours que c’était ainsi, qu’il avait tenu sa parole, l’ignorant dans toute sa splendeur. Oh, l’impur avait tenté d’attirer son attention, encore et encore. Mais cela ne lui avait même pas tiré un sourire satisfait – non, cela aurait été une trop grande récompense pour lui que de lui soutirer un petit sourire. Alistair avait eu pleinement raison, comme il s’en était douté. L’esclave détestait être invisible. Il détestait qu’on l’ignore, qu’on lui donne l’impression qu’il n’existait pas. Il détestait penser que son existence ne valait rien, qu’il pourrait mourir que cela ne changerait rien, pour personne. Et Alistair était doué pour le lui faire ressentir, très certainement. Là encore, il fit comme si ses yeux ne s’étaient pas posés sur lui. Comme s’il ne l’avait pas vu, comme s’il n’était pas là. Laissant tout de même la porte ouverte, il se retourna donc, dans le silence, sans un regard pour lui. Une fois à la hauteur de son lit, il finit par s’y installer, avant de s’y allonger. S’il était face à l’esclave, son dos contre le mur, il ne le regardait toujours pas. Quel intérêt, de toute façon ? Il n’existait pas, et cela le satisfaisait pleinement.

Il soupira, inflexible, restant allongé sur son lit, comme s’il ne le voyait pas. Qu’importe qu’il soit face à lui, le garde du corps fixait un point invisible derrière l’esclave, ne le regardant pas, ne lui accordant aucune espèce d’importance. Il aurait pu s’inquiéter de le voir pénétrer dans sa chambre – après tout, de ce qu’il en avait compris de ses perversités, il valait mieux éviter qu’il se retrouve dans sa chambre – mais il fallait bien avouer que, qu’importe l’état dans lequel il se trouvait, il le battrait sans trop de difficultés s’ils devaient en venir aux mains. Powell l’avait battu, certes, mais l’esclave n’avait clairement pas l’entrainement de son Maître. Bref, ignorer ce qu’il faisait, ne pas le regarder. Il finit même par laisser ses paupières se fermer, tout à coup, envahi par la fatigue. Il était épuisé et donnerait tout pour dormir. Mais, apparemment, l’impur était bien décidé à, une nouvelle fois, l’en empêcher. Il remarqua à peine ce qu’il posait sur sa table basse, préférant continuer ce jeu qu’il aimait tant : prétendre qu’il n’existait pas. Mais lorsqu’un gant frais se posant sur son front en sueur, il dut bien s’obliger à rouvrir ses paupières, comme il lâchait un nouveau soupir, mais plus d’aise cette fois, à la limite du bien-être. Oui, cela lui faisait du bien, même s’il ne l’avouerait. A qui l’avouer, de toute façon ? Personne d’autre que lui n’était présent dans cette pièce, après tout … « Ni le gâteau ni le thé ne sont empoisonnés, et ça vous fera du bien. » Il se mordilla la lèvre inférieure, dans un sourire amusé qu’il tentait de masquer. Puis un petit rire s’échappa. Un simple rire, même pas moqueur ou ironique, comme il s’était souvenu d’un jour, quand il était petit, où il avait décidé de jouer au Roi du Silence avec son petit frère, parce qu’il avait été méchant et qu’il ne voulait plus lui parler. Son petit frère avait alors tenté de le battre, et leur silence avait bien duré plusieurs jours, jusqu’à ce que son cadet finisse par rompre ce silence. Il ne se souvenait plus de ce qu’il lui avait dit et, d’ailleurs, cela n’avait pas vraiment d’importance. Ce n’était pas comme s’il avait gardé contact avec lui, il était devenu un inconnu, comme tous les autres membres de sa famille, à l’exception de Saiph. Bref, ce n’était pas important. Il ne savait même pas pourquoi il y avait pensé. Il laissa tout de même l’esclave continuer sa douce torture, sans un mot. Puis il tenta de bouger, lentement, grimaçant, pour attraper un biscuit, avant de se relaisser tomber lamentablement sur son lit. Il pourrait continuer son jeu, continuer à prétendre qu’il n’existait pas. Mais il était fatigué. Et puis, l’esclave avait eu ce qu’il voulait : la preuve qu’il avait vu qu’il existait – il n’aurait pas soupiré d’aise au contact du gant humide, n’aurait pas ri à sa phrase et n’aurait pas attrapé le biscuit, sinon, il fallait être honnête. Il pourrait toujours reprendre son jeu demain, quand il serait un peu plus en forme. « Tu sais tellement où est ta place que tu prends des initiatives pour servir, maintenant ? » demanda-t-il finalement. Si les mots étaient tranchants, le ton de sa voix ne suivait pas, n’étant presqu’un soupir. Il finit par lever les yeux vers lui, tentant vainement de faire apparaître un sourire en coin sur ses lèvres – mais, là encore, cela semblait être plus compliqué que ce qu’il n’y paraissait. « Ou mes commentaires acerbes te manquaient trop pour te donner l’impression d’exister ? »

Il avait reconnu son existence pour la journée, oui. Tant pis, le jeu reprendrait le lendemain, là le garde du corps était bien trop fatigué pour prétendre qu’il n’existait pas. Mais qu’il vienne le voir et l’aider de son plein gré, sans que quiconque ne le lui ait ordonné ? En voilà une surprise ! L’esclave avait dû se rendre compte de la place qui lui appartenait, au point de vouloir anticiper les ordres et requêtes. A croire que sa punition s’était révélée être bien plus intéressante qu’il ne l’aurait cru, finalement. « Je vote pour les commentaires acerbes. » Un sourire étira ses lèvres, comme il s’en était douté. Dès qu’il avait compris comment fonctionnait cet impur, il avait su que l’ignorance serait la pire punition pour lui. Il avait tellement besoin d’exister, de prouver qu’il vivait. Alors, clairement, faire comme s’il n’était pas là, comme s’il ne parlait pas ? C’était bien la pire punition possible et imaginable pour lui. Et Alistair était donc plutôt satisfait de son petit jeu – que l’impur avait parfaitement mérité, bien entendu. Il toussa un peu, d’une manière bien peu distinguée mais qu’importe, avant de récupérer tant bien que mal une tasse de thé, d’en boire un peu, puis de se rallonger. De nouveau, il soupira en sentant le gant humide se poser sur son front, mais il ne le regarda pas vraiment pour autant. Au contraire, ses paupières avaient tendance à se faire lourdes, et à se fermer brièvement avant de se rouvrir. « Je vais aller vous chercher une aspirine et quelque chose de plus consistant que des gâteaux : vous avez besoin de récupérer des forces. » Il soupira, mais ne dit rien cependant, même lorsque l’esclave se leva du fauteuil. Il n’avait pas grand chose à dire, de toute façon. Pas grand chose à lui répondre. Oh, il avait convenu qu’aujourd’hui serait une trêve dans sa punition, mais à quoi bon parler, si c’était pour ne rien dire ? Ses commentaires, bien que tranchants, n’étaient pas distribués avec le ton adéquat, et son cerveau bouillonnant peinait à trouver de nouvelles piques.

Alors il le laissa s’en aller, hochant brièvement la tête, puis fermant les paupières, somnolant. Il ne sut exactement combien de temps passa avant que l’impur ne revienne dans sa chambre, mais il soupira en le voyant revenir. S’il soupirait de lassitude, d’ennui ou de soulagement, ça, par contre, il ne serait capable de le dire. Il lui lança un petit sourire malgré lui, avant de se retourner sur le côté pour mieux le regarder. « J’avais raison, alors ? » demanda-t-il simplement, après quelques instants de silence. « Pour la punition … » reprit-il dans un sourire amusé, avant de lâcher un petit ricanement moqueur. « C’était bien la pire punition pour toi ? Prétendre que tu n’existais pas ? » continua-t-il de ce même sourire, avant de rouler des yeux. « C’est pour ça que tu t’es empressé d’accourir en voyant que j’étais mal ? Parce que tu voulais mon attention ? » continua-t-il, presque sur le ton de la conversation, finalement. « Tu sais … Désolé de te décevoir … Mais je ne mentais pas, la dernière fois … Je ne suis pas intéressé. » Il finit par tousser brusquement, ayant du mal à reprendre sa respiration, avant de se calmer. Après quelques instants, il reprit, comme si de rien n’était. « Ni intéressé par les hommes … Ni par les esclaves. » Il marqua une courte pause, avant de lâcher, comme s’il récitait un texte qu’on lui aurait tant forcé à apprendre, les yeux dans le vague. « L’homosexualité et les impurs sont des aberrations de la nature. »

L’esclave revenait, lui rapportant ce qu’il lui avait promis, mais Alistair s’en moquait. Il doutait fortement qu’une aspirine serait d’une quelconque aide, pour être parfaitement honnête. « Prenez, cela vous fera du bien. » Il regarda brièvement le verre, avant de l’ignorer, s’installant un peu plus confortablement pour mieux le regarder. Et puis il parla, tentant d’y mettre du sarcasme, de l’ironie, peut-être même de le faire sortir de nouveau de ses gonds, histoire de se divertir un peu avant de dormir, à la manière d’une comédie qu’il regarderait à la télévision. « Je suis venu parce que vous souffriez, et aussi inférieur et stupide suis-je, je ne pouvais pas décemment laisser quelqu’un continuer à être aussi mal sans tenter de l’aider. Et… » A d’autres. Il ricana à sa réponse, ce qui lui tira malheureusement une quinte de toux, avant de rouler des yeux. Le garde du corps finit par boire le verre d’aspirine qu’il lui tendait, espérant que le liquide calmerait sa toux, avant de se réinstaller, soupirant. Il ne croyait pas un instant à son explication, cependant. A moins qu’il ne se soit transformé en parfait petit esclave en l’espace de quelques jours – ou semaines, il ne savait plus vraiment, finalement – qu’il soit là, auprès de lui, à tenter de prendre soin de lui, montrait que ce jeu l’avait atteint plus que de raison – ou alors, qu’il était éperdument amoureux de sa personne … et là, ce serait vraiment problématique. Comme s’il lisait dans ses pensées – et peut-être était-ce le cas ? Il fronça des sourcils à cela, le regardant brièvement, suspicieux – le sorcier reprit. « Je ne suis pas intéressé par vous : je voulais vous provoquer et me moquer la dernière fois. Veuillez m’en excuser, c’était stupide de ma part. » Un nouveau ricanement – de nouveau accompagné par une quinte de toux, donc – s’échappa, comme il n’y croyait absolument pas. Il avait bien vu son regard sur lui, ses iris détaillant son corps, ses pupilles comme hypnotisées par son fessier. Et puis, il y avait toujours ces sons qui sortaient de la chambre de Powell. L’impur était un homosexuel, et il avait jeté son dévolu sur sa personne – en toute modestie, bien entendu, mais il n’y avait pas d’explication plus cohérente à son comportement que ça et, réellement, ce n’était pas quelque chose qui l’enchantait ; après tout, qu’un homme impur soit attiré par sa personne n’était pas non plus le truc le plus flatteur au monde. « Quel est votre nom ? Depuis tout ce temps, je ne sais même pas comment vous vous appelez… » Il le dévisagea un instant, fronçant des sourcils. Powell ne l’avait jamais appelé en sa présence ? Il ne s’en souvenait plus. Ce n’était pas vraiment comme s’il faisait attention à la présence de l’esclave, de toute façon. Bref, cette information n’étant pas non plus confidentielle, il finit par soupirer, avant de lui répondre « Alistair. Wellington. » dans un souffle court. Il ne lui retourna pas la question – il s’en fichait. Il resta un instant silencieux, se repassant les paroles de l’esclave, avant de rouler des yeux une énième fois – il se retint de justesse de ricaner de nouveau, n’appréciant que moyennement les quintes de toux qui le prenaient lorsqu’il le faisait. « Et tu as maté mes fesses. Quand je me déshabillais. Je l’ai vu. J’ai vu comment tu m’as regardé. » Il marqua une pause, se passant difficilement une main dans les cheveux, sentant la fatigue le prendre encore un peu plus, puis il reprit. « Ne le nies pas. L’une de mes compétences en tant que garde du corps c’est de pouvoir analyser le comportement des gens en les regardant. C’est ainsi que je peux avoir un doute sur une personne voulant faire du mal à ton Maître, par exemple. » Nouvelle pause, comme il fatiguait réellement, sentant ses paupières s’alourdir encore un peu. « Alors, certes, ce n’est pas infaillible. Je ne suis pas … sorcier. Mais la façon dont tu me regardes … Plus le fait que tu sois ici, à mon chevet, en train de t’occuper de moi … Ce sont des signes plutôt faciles à décrypter. »

Le pire dans cette histoire – en plus du fait qu’il soit un impur doublé d’un homosexuel, bien entendu – c’était probablement le fait qu’il semblait totalement ignorer, et croire en ses paroles. « Parce que vous avez envie de sauter pour forniquer sur toutes les demoiselles que vous trouvez jolies, vous ? » Un sourire amusé étira ses lèvres à sa réponse, parce qu’il savait que ça n’avait rien à voir. Surtout qu’il n’était pas du genre à reluquer les fesses des femmes, donc bon. Probablement mieux éduqué que ça. « Oui je vous ai regardé, parce que vous avez un corps fait pour ça. Et non, je ne suis pas homosexuel. Et oui, je voulais vous aider parce que vous sembliez mal en point, c’est tout. Cessez de voir le mal partout et considérez pour une fois que je suis de bonne foi. » Ses lèvres s’étirèrent un peu plus comme l’impur ne semblait vraiment pas avoir l’air de comprendre de quoi il parlait. Nul doute que le sorcier croyait en sa bonne foi, mais ses gestes étaient à l’opposé de ses paroles. Mais bon, de toute façon, plus l’esclave était dans le déni, mieux c’était pour lui – il n’aurait pas à craindre qu’il veuille profiter de lui pendant qu’il dormait, au moins.  « Non, mais je ne les regarde pas se déshabiller non plus, encore moins avec un regard lubrique et presque de la bave coulant sur le menton. » répondit-il presqu’aussitôt dans un sourire amusé. Cela s’appelait le respect. Ou le manque d’occasion. Ou qu’importe. Il ne regardait simplement pas les demoiselles qu’il trouvait jolies, et n’avait pas envie de forniquer avec elles. Il avait, de toute façon, des choses bien plus importantes à penser qu’à ça, comme la sécurité des personnes auprès de qui il était assigné. Voilà, ça, c’était important. « Et tu réalises que tu te contredis toi-même ? Enfin … Si tu étais hétérosexuel, tu ne comparerais pas la façon que tu as eu de me regarder, à celle que je pourrais avoir en regardant une femme. » reprit-il, toujours amusé.

« Et s’il vous plaît, arrêtez de m’accuser d’un fait dont je ne suis ni responsable, ni en mesure de changer. Je suis Impur, c’est un fait. Mais je n’y peux rien. Je n’ai pas demandé à naître ainsi. » Alistair serra la mâchoire, comme il le regardait fixement, sans ciller. Et dire qu’ils menaient, pourtant, une conversation presque cordiale … « Je ne vais pas changer de comportement pour toi, impur. » répondit-il presqu’aussitôt, d’une voix froide, qui contrastait avec la sueur et la chaleur de son corps, comme il insistait sur ce mot qui le définissait. « Si tu n’es pas satisfait de la façon dont je te traite, tu peux aussi partir. » reprit-il sur le même ton, lui laissant le choix de faire ce qu’il voulait, ce qu’il préférait entre les deux. « Si tu préfères que je t’accorde de l’attention, même en te traitant ainsi, tu peux rester … Peut-être que demain, à mon réveil, j’oublierais ta punition, et te traiterais de la même façon. »Il marqua une pause, sentant sa fatigue continuer de l’englober, comme il savait qu’il parlait trop pour son bien. « A toi de voir ce que tu préfères. Être invisible, inexistant … Ou ne pas l’être, mais continuer d’être traité comme je le fais. »

C’était comme si l’esclave ne l’écoutait pas, comme il lui parlait. Non, il se contentait de continuer à prendre soin de lui, comme si de rien n’était. C’était à croire qu’il lui était réellement rentré dans le champ de vision, et que l’impur était réellement inquiet pour lui, pour sa santé et son état. Et ensuite il osait dire que ce qu’il racontait était faux. Alors qu’il pouvait voir cette lueur d’inquiétude dans ses yeux. S’il le détestait réellement, il ne réagirait pas ainsi, bien au contraire. Alors à d’autres. Son petit rôle d’esclave compétent, il n’y croyait absolument pas. « Parce que si vous m’ignorez totalement, j’ai une toute petite chance de vous voir changer d’opinion sur les impurs ? » Il haussa un sourcil interrogatif, se demandant à quel moment il avait bien pu dire ça. L’impur osa même aller jusqu’à ricaner, comme il le fusillait du regard. « Excusez-moi, mais… c’est contradictoire. » De nouveau, il chercha dans sa mémoire ce qu’il avait bien pu dire qui lui donnerait l’impression que son opinion sur les impurs pourraient changer s’il l’ignorait. Nope, rien. Au contraire, même. Un impur ne méritait tout simplement pas son attention, c’était un fait. C’était d’ailleurs ce qu’il avait souhaité lui montrer, ces dernières semaines. En plus de le punir de l’avoir regardé d’un regard un peu trop soutenu à son goût. Et il avait su directement que ce serait la pire punition possible pour lui. Lui qui se voulait tellement fort, tellement vivant. Qui n’acceptait pas sa condition, voulait se rebeller. Oh oui, faire comme s’il n’existait pas, lui donner l’impression qu’il était invisible avait été la meilleure punition possible, et il ne le regrettait absolument pas. Peut-être même continuerait-il ce jeu le lendemain, en fonction du comportement de l’esclave dans la soirée. « Impur. Apprends à écouter correctement. Je sais que tu as quelques problèmes de compréhension, mais tu pourrais faire un effort, tout de même. » lâcha-t-il d’une voix bien plus faible qu’il ne l’aurait souhaité. « Je n’ai jamais dit ça. Au contraire, j’ai dit que je ne changerai pas de comportement pour toi, simplement parce que tu me le demandes. Soit tu t’en satisfais, soit tu t’en vas. » Mais quelque chose lui disait qu’il ne s’en irait pas, qu’au contraire il resterait et continuerait. Qu’il aurait beau l’insulter, le traiter comme un moins que rien, il en redemanderait. Parce qu’il aimait avoir son attention. Il n’y avait qu’à voir le nombre de fois où il avait tenté de l’obtenir ces dernières semaines.

« Ecoutez faites bien comme vous l’entendez, je n’aurai jamais le mot final avec vous. Haïssez-moi, méprisez-moi, humiliez-moi, ignorez-moi… Je ne pourrai rien changer, alors bon, faites comme bon vous semble ! » Il roula des yeux face à toute cette dramaturge, avant de ricaner – et de subir une nouvelle quinte de toux. « Impur. » commença-t-il d’une voix moins froide qu’il l’aurait espéré – la faute à sa fièvre, probablement. « Quand comprendras-tu que tu n’en vaux pas la peine ? Tu ne mérites pas ma haine. Mon mépris, peut-être, et encore. Les humiliations ? Désolé si tu penses que te traiter comme tu dois l’être est synonyme d’humiliation. Après tout, c’est ta place, je n’y suis pour rien. L’ignorance … Oui, c’était un jeu fort plaisant, je le reconnais. Mais ce n’était qu’une punition que tu avais méritée pour ton comportement. Simplement pour te dresser. » répondit-il dans un sourire amusé, avant de soupirer longuement. Un bâillement déforma ses lèvres, et ses paupières, toujours aussi lourdes, se fermèrent brièvement.

Comme s’il avait remarqué son corps fatigué – c’était probablement le cas, d’ailleurs, vu comme il le fixait à la manière d’un amant inquiet – l’esclave reprit, lui demandant « Est-ce que ça va un peu mieux ou pas du tout ? » Son inquiétude pouvait s’entendre aisément et Alistair ne sut pas s’il devait s’en montrer touché ou dégoûté. Il était bien trop fatigué pour réfléchir, pour être parfaitement honnête. Et cette conversation sans fin, comme s’il parlait avec un mur – il doutait que l’impur ne comprenne véritablement un mot de ce qu’il pouvait raconter, de toute façon – ne l’aidait pas à se reposer, bien au contraire. « Pas vraiment, non. » avoua-t-il sans gêne – après tout, ce n’était pas comme s’il pouvait feindre l’inverse – avant de ramener ses yeux sur lui. « Tu devrais … » commença-t-il de sa voix lasse, avant de se reprendre. « Laisse-moi. J’ai besoin de dormir. » Un ordre. Voilà qui était bien mieux et qui clôturerait la conversation. Il pourrait alors enfin dormir et se reposer. Il ouvrit les lèvres brièvement, hésitant à le remercier. Puis il referma finalement la bouche, se demandant pourquoi même cette pensée lui avait traversé l’esprit.

Alistair était fatigué, éreinté. Il sentait l’épuisement l’engloutir petit à petit, la faute à la fièvre qui devait augmenter. Il avait seulement envie de dormir, rien d’autre. Encore moins tenir la conversation à un esclave pour tenter de lui prouver où se trouvait sa place. Et dire que l’impur avait cru qu’il pourrait le haïr. Comme s’il en valait la peine. Il ne méritait déjà pas l’attention qu’il lui donnait en cet instant, à lui parler presque d’une manière cordiale. Mais Alistair était bien trop fatigué pour y mettre le ton. Il laissait donc les mots tranchants faire le travail à sa place. Le regard blessé qui lui lança le laissa étrangement avec une boule dans la gorge. Peut-être aurait-il dû le remercier, finalement. Il pressa des paupières à cette pensée. N’importe quoi. Il ne méritait pas de remerciements de sa part. Il ne méritait rien. Il l’avait soigné et s’était inquiété pour son état de santé simplement parce qu’il avait développé quelques sentiments immondes et abjects à son égard. Et il n’allait pas l’encourager. Même pour rire, même pour se moquer, c’était bien trop répugnant pour cela. « Merci pour cette leçon. » dit-il d’une voix toute autant blessée que la lueur dans ses iris. Qu’importe, il s’en moquait. Il lui avait demandé s’il allait mieux, il n’avait fait qu’être honnête avec lui : non, il n’allait pas mieux ; oui, il avait besoin de dormir ; oui, avoir une conversation, qu’importe l’ennui total qu’elle pouvait apporter, n’était pas ce qu’il y avait de mieux pour rejoindre les bras de Morphée. S’il était trop sensible pour prendre son ordre tel qu’il était, ce n’était pas son problème. Clairement, l’égo et les sentiments d’un impur étaient le cadet de ses soucis, encore plus en cet instant où il tremblait dans son lit, le corps en sueurs.

Il s’endormit presqu’à l’instant même où l’esclave ferma sa porte. A peine eut-il fermé les yeux qu’il partit dans ses songes. Malheureusement, probablement à cause de cette soudaine fièvre qui le prenait, son sommeil ne fut pas sans rêve, bien au contraire. Bien rapidement, il se tordit entre ses draps, gémissant, comme il revoyait un coup qu’il se prenait. L’air manqua, tout à coup, comme il eut l’impression que l’on forçait sa tête à rester sous l’eau. Il allait se noyer. L’eau commençait déjà à remplir ses poumons. Il tâchait de se débattre, il toussa aussi, mais rien n’y fit. Au contraire, l’eau s’engouffrait encore plus rapidement et il étouffait, suffoquait. Il allait mourir. Il en avait la certitude. Finalement, une main tira sur ses cheveux pour le tirer de l’eau. Mais il ne fut pas libre pour autant. Oh non. L’homme qui le tenait ne faisait que commencer. Il perçut même son rire résonner dans la pièce lugubre où il se trouvait, comme on le rattachait sur sa chaise. Puis ce fut ces fils électriques qui touchèrent son corps encore trempé, et il cria. Il cria jusqu’à ce que sa voix ne se casse, jusqu’à ce qu’il ne s’évanouisse. Il allait mourir. Il en était persuadé. Il avait pourtant réussi toutes les épreuves précédentes. Mais il ne passerait pas celle-ci. Il mourrait. La douleur était trop forte, trop violente. Son corps ne le supporterait bientôt plus.

Mais il ne mourut pas. Non. Il fit bien pire. Sous contrôle d’un produit qu’on lui força à ingérer, il se trouva à faire pire. Il le tua. Il pleurait, criait, suppliait. Il ne pouvait pas lui demander de le tuer. Son rire résonna dans la pièce de nouveau, comme des larmes coulaient sur ses joues. Il ne pouvait pas tuer Julian. Il en était incapable. Son cerveau refusa de fonctionner pendant un moment, comme il faisait le vide dans sa tête. Il reçut un nouveau coup. On lui dit qu’aimer un autre homme était une abomination. Qu’il aurait dû mourir avant. Qu’il n’aurait même jamais dû naître, erreur de la nature qu’il était. Et Alistair donna le coup de poignard. Il se leva en sursaut, pleurant, son regard se posant sur un homme assis sur son lit – qui tentait apparemment de le réveiller. Il se mit à sangloter, murmurant des excuses telle une litanie, comme il posait sa tête sur son épaule et le serrait contre lui.

Il resserra son étreinte sur lui, sanglotant, continuant à s'excuser sans parvenir à s'arrêter. Dans l'état second où il se trouvait, à mi-chemin entre le réveil et le rêve, Alistair resta ainsi un instant, sans parvenir à se réveiller véritablement. Ses lèvres vinrent se poser à l'orée de son cou, avant de déposer plusieurs baisers retraçant sa mâchoire, baisers entre la tendresse et la supplique. « Je suis tellement désolé ... » sanglota-t-il en raffermissant sa prise, refusant de le lâcher. Un nouveau sanglot, plus profond, s'échappa, comme il reprenait. « Julian s'il te plait pardonne-moi. » De nouveaux sanglots sortirent d'entre ses lèvres, comme son corps était secoué de tremblements. « Je ne voulais pas, je te promets ... Je voulais pas faire ça ... » Cette fois-ci, le sanglot ressembla plus à un cri. Le corps toujours tremblant, chacun de ses membres tressaillant, ses lèvres se dirigèrent vers sa joue, où il déposa un autre baiser, avant d'en faire ma même sur sa pompette. Sa main descendit de son épaule pour se poser sur le bas de son dos, sans le lâcher pour autant. « Je … Je … Je voulais pas … Je voulais pas te tuer … Je suis désolé … Tellement désolé si tu savais … » pleura-t-il, tremblant dans ses bras, sa voix complètement secouée par ses sanglots. Son état de semi-conscience l’empêchait de réaliser qu’il ne pouvait, techniquement, pas s’adresser à une personne qu’il aurait tué. Mais, ça, il était bien incapable de le réaliser. Non, il restait dans cet état, n’arrivant pas à en sortir, persuadé qu’il tenait son ancien amant dans ses bras. « Je … Je sais pas … Je sais pas pourquoi je l’ai fait … Comment ils ont réussi … Je … Je sais pas … J’avais pas le choix … » Sa tête revint se poser dans le creux de son épaule, comme il se remit à sangloter contre lui, inconsolable. Il déposa un baiser mouillé à l’orée de son cou, puis renifla, cherchant à calmer son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine, résonnant jusque dans ses tempes. « J’ai jamais aimé quelqu’un comme je t’ai aimé … Je … T’es la personne que j’aime le plus au monde … Je … Je sais pas comment c’est possible … Comment ils y sont parvenus … » continua-t-il de sangloter, sans réellement savoir si l’homme lui répondait ou non, sans parvenir à l’entendre, sans parvenir à remettre les pieds sur terre et reprendre contact avec la réalité. « Dis-moi que tu me pardonnes Julian … S’il te plaît dis-le moi … » Il renifla bruyamment, relevant son visage pour tâcher de se plonger dans ces yeux qu’il connaissait tant, fronçant des sourcils comme ses iris lui semblaient différentes de celles dont il s’était souvenu, avant de reprendre. « Je t’aime … Pardonne-moi s’il te plaît … » pleura-t-il encore, avant de finalement déposer ses lèvres sur les siennes, tendrement, doucement, puis de poser son front contre le sien.